Sophie Morin-Delerm vient de publier “Le Marketing de l’Innovation – Concevoir et lancer de nouveaux produits et services” (avec Le Nagard E. et Manceau D.). Cette 3ème édition publiée par Dunod est entièrement revue et augmentée.

marketing

Présentation : L’innovation constitue une source de croissance privilégiée pour les entreprises et les marques. Nous vivons la troisième révolution industrielle caractérisée par l’omniprésence d’Internet, des mobiles et des tablettes, le développement des objets connectés, le remplacement des biens par des téléchargements (journaux, musique, films, logiciels, photos) ou par des services de l’économie dite partagée. Les entreprises s’inquiètent de « l’uberisation » de leur activité et se doivent d’améliorer sans cesse l’expérience du client. Les attentes des marchés évoluent de plus en plus rapidement, tandis que de nouvelles technologies émergent en permanence.

Dans ce contexte, les entreprises sont contraintes d’innover davantage, mieux, plus vite, à moindre coût, au risque de rester prisonnières de produits et de modèles économiques dépassés. La faillite de Kodak et le rachat de Nokia ont profondément marqué les esprits, montrant qu’aucun géant n’est pas à l’abri. Google, Apple et Samsung sont cités en exemple dans tous les secteurs. 3M explique que 34 % de son chiffre d’affaires provient de produits lancés depuis moins de trois ans, contre 25% il y a 7 ans. Selon une étude mondiale du Boston Consulting Group[1], 75 % des cadres dirigeants considèrent l’innovation comme une des trois priorités clés de leur entreprise et 61% y consacrent davantage de budgets qu’en 2013.

Dans cet environnement obnubilé par l’innovation, le marketing doit jouer un rôle central. Décrypteur des attentes des clients, interface entre l’interne et le marché, responsable de la commercialisation des biens et services, il est aux avant-postes. Pourtant, les approches classiques du marketing, fondées sur la compréhension des besoins non satisfaits du marché, ne semblent pas toujours adaptées à l’innovation. D’aucuns critiquent son écoute traditionnelle des clients, reprenant à l’envi la célèbre phrase attribuée à Henry Ford : « si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils désirent, ils m’auraient dit « un cheval plus rapide » ».

En effet, le marketing doit se réinventer dès que l’on traite d’innovation. Il ne peut se contenter d’identifier les insatisfactions exprimées et doit intégrer le fait que ce n’est pas toujours la demande qui crée l’offre, mais parfois l’inverse. Combien de consommateurs ont remplacé leur mobile qui fonctionnait très bien pour acquérir un smartphone aux fonctionnalités avancées ? Combien vont acquérir une montre connectée alors qu’ils n’imaginaient pas quelques mois plus tôt pouvoir souhaiter un tel produit ? Combien ont acheté un nouveau vêtement pour suivre la mode ? L’obsolescence du produit n’est alors pas fonctionnelle, mais psychologique ou sociale. Bien souvent, la nouveauté crée l’envie et le besoin, et contribue à stimuler la demande sur des marchés saturés. Cette logique de marketing de l’offre existe également dans le secteur des services tels les loisirs, les activités culturelles ou encore le tourisme.

L’innovation stimule la demande globale pour des catégories de produits. Elle permet également la différenciation entre les marques et les produits à travers une expérience client, une ergonomie, un modèle économique, des fonctionnalités, un mode de distribution renouvelés. Elle permet de situer la concurrence et la comparaison des offres sur d’autres critères que le prix. Dans le vocabulaire des économistes, l’innovation stimule la « compétitivité hors prix ». Pour le marketing, elle construit un positionnement spécifique, plus valorisé par le marché et susceptible de générer des marges plus élevées.

Dans ce contexte, le marketing de l’innovation est souvent décrié – particulièrement en cette période de prise de conscience aigüe de ressources limitées -, et ce pour deux raisons : il créerait des besoins inexistants, encourageant la surconsommation ; il serait inefficace parce qu’incapable d’anticiper les marchés de demain. Ces deux critiques sont quelque peu contradictoires puisqu’elles supposent alternativement une grande et une faible efficacité du marketing de l’innovation. Dans cet ouvrage, le propos n’est ni de discuter des pratiques inhérentes à la société de consommation dans laquelle les entreprises cherchent à stimuler la demande vers leurs catégories de produits et services, ni d’établir des jugements de valeurs entre les différents types d’innovations selon leur degré de nécessité ou leur caractère plus ou moins innovant.

L’objectif de cet ouvrage est d’étudier les spécificités du marketing de l’innovation et décrire les approches, méthodes, techniques, qui permettent au marketing de favoriser l’émergence et le succès commercial des produits et services innovants. En effet, les techniques classiques du marketing doivent souvent être adaptées, voire profondément transformées, dès lors qu’il s’agit de construire le futur, d’anticiper et d’optimiser la réaction du marché à des biens et services qui n’existent pas encore, que les clients n’imaginent pas toujours et attendent encore moins… Le rôle du marketing est essentiel puisqu’il s’agit d’analyser quelles innovations sont susceptibles d’attirer les clients, de participer à leur conception, puis de les lancer avec succès sur le marché. Tâches ô combien difficiles car d’une part, aucune certitude ne prévaut en la matière et, d’autre part, il faut travailler de concert avec des départements, internes et externes à l’entreprise, dont les méthodes, le vocabulaire, l’orientation sont parfois radicalement différents du marketing : la R&D bien sûr, même si elle se préoccupe souvent davantage d’invention que d’innovation ; le design, qui réfléchit à l’ergonomie et conçoit l’objet ou le service ; les bureaux d’études et l’ingénierie, qui transforment l’invention en produit ou service de série ; les usines qui fabriquent ; le contrôle de gestion chargé d’évaluer les coûts ; la finance responsable d’élaborer un business-plan en situation de forte incertitude ; les ressources humaines cherchant à recruter et à motiver des individus susceptibles d’être innovants ; et le marketing qui doit faire en sorte que le nouveau produit corresponde aux attentes ou aux aspirations inconscientes des clients potentiels et doit élaborer une politique de commercialisation pertinente en vue de favoriser un succès sur le marché. L’innovation exige un dialogue – souvent difficile – entre des fonctions aux objectifs et aux horizons temporels différents. Plus encore, elle repose de plus en plus sur des collaborations avec des acteurs externes dans le cadre de l’open innovation en sollicitant des laboratoires de recherche indépendants, des fournisseurs, voire les clients eux-mêmes pour proposer des idées ou des messages de communication.

Pour analyser la place du marketing dans ce processus et présenter les approches et les méthodes du marketing de l’innovation,  tous les types d’innovations, des plus révolutionnaires aux « simples » nouveaux produits et services qui renouvellent les gammes sont étudiés dans cet ouvrage. En réalité, une vision doublement large de l’innovation est défendue, large par l’origine de l’innovation elle-même (technologie, usage, modèle économique) et large par le degré d’évolution par rapport aux produits antérieurs. C’est le premier parti-pris de cet ouvrage. Sont évoqués donc conjointement les produits et services perçus comme très novateurs par le marché et ceux qui font figure d’innovations incrémentales. Les spécificités des innovations radicales sont détaillées lorsqu’il y a lieu. Mais la capacité d’innovation des entreprises se construit en multipliant les innovations, qu’elles soient radicales ou incrémentales, les unes nourrissant et entretenant les autres dans une économie de la quantité qui permet de construire un savoir-faire et une compétence organisationnelle où le marketing joue un rôle essentiel.

Le deuxième parti-pris de l’ouvrage est de traiter conjointement tous les types de secteurs, les biens tangibles comme les services, les activités à destination des particuliers et celles qui s’adressent aux entreprises. Là encore, les grandes méthodes pour innover sont souvent communes. Le transfert d’approches d’un secteur à l’autre est source de fertilisation croisée. On assiste d’ailleurs depuis quelques années au rapprochement de secteurs : une entreprise du web comme Google rachète le fabricant de thermostat Nest ou se lance dans l’automobile, quand la téléphonie intègre les fonctions d’appareils photos et que les montres permettent de se connecter sur Internet et sur Instagram, on se rend compte que les approches sectorielles de l’innovation ont fait long feu. Lorsque le propos s’y prête, les spécificités de certains secteurs seront toutefois décrites.

Troisième parti-pris, cet ouvrage est destiné aux spécialistes du marketing, actuels et futurs, chargés de développer ou de lancer des nouveaux biens et services, mais aussi aux autres fonctions impliquées dans le processus d’innovation et qui doivent collaborer avec le marketing. En analysant les approches adoptées dans différentes entreprises et dans les sociétés d’études, en utilisant les travaux réalisés par les chercheurs en marketing et en management, l’ouvrage propose un état des lieux sur les connaissances actuelles en la matière.

Cet ouvrage présente le rôle du marketing et les méthodes pertinentes lors du développement et du lancement de l’innovation. Le marketing doit faire en sorte que la préoccupation du marché soit présente à toutes les étapes du développement et, qu’ensuite, l’innovation soit commercialisée dans des conditions qui permettront de valoriser son intérêt auprès des clients potentiels et de stimuler sa diffusion.

Pour ce faire, le livre est structuré autour de trois parties et huit chapitres. La première partie est consacrée aux enjeux du marketing de l’innovation, pour l’entreprise et pour le marché. Le premier chapitre étudie les dilemmes auxquels sont soumises les entreprises pour construire leur capacité d’innovation et un marketing pertinent en la matière. Le deuxième chapitre décrit la manière dont consommateurs et entreprises clientes perçoivent et agissent face à l’innovation. La deuxième partie est consacrée au processus de développement des innovations. Après avoir analysé, dans le chapitre 3, les étapes et les choix organisationnels auxquels sont confrontées les entreprises et identifié les nouvelles pratiques en la matière (open innovation, crowdsourcing, innovation frugale…), les étapes amont du processus, depuis l’idée jusqu’au concept (chapitre 4), puis l’élaboration de l’offre innovante (chapitre 5) sont étudiées. La troisième partie est consacrée à la mise sur le marché des innovations. Il faut d’abord prévoir les ventes, éventuellement au moyen de marchés-tests (chapitre 6), avant de procéder au lancement (chapitre 7). En conclusion, le chapitre 8 porte sur la dynamique concurrentielle de l’innovation avec ses effets sur la catégorie de produits dans son ensemble puis sur la position concurrentielle des entreprises.

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[1] Source : Wagner K., Taylor A., Zablit H., Foo E., Innovation in 2014, BCG Perspectives, 2010.